Méfiez-vous de Rayan al-Kildani et de son Mouvement de Babylone “chrétien”

Le Vatican et le Patriarche chaldéen ont déclaré que le politicien controversé, sous sanctions aux Etats-Unis en raison de ses violations des droits de l’homme, ne peut parler au nom de la communauté catholique irakienne.  

 

Willy Fautré, Human Rights Without Frontiers

 

Rayan al-Kildani a utilisé sur les medias sociaux une photo avec le Pape prise lors d’une audience générale pour faire croire, à tort, qu’il avait eu une audience privée avec le Pontife.

 

Bitter Winter (27.09.2023) – Le chef d’un parti politique chrétien et d’une milice armée prétendant être la voix de la communauté chrétienne en Irak a faussement déclaré avoir été invité à rencontrer le Pape au Vatican.

Le 7 septembre, le bureau médiatique de Rayan al-Kildani, sanctionné aux États-Unis pour des violations flagrantes des droits de l’homme en Irak, a affirmé avoir rencontré le pape en privé au Vatican et lui avoir “transmis les salutations du gouvernement et du peuple irakiens, lui demandant de prier pour l’Irak”.

Le Washington Institute for Near East Policy a démenti cette fausse nouvelle dans un document intituléRayan al-Kildani prétend avoir eu une audience personnelle avec le pape“, prouvant que le cadre de la rencontre était trompeur. Le communiqué de presse de Rayan al-Kildani et les photos le montrant près du pape voulaient donner l’impression qu’il s’agissait d’une audience privée avec le pape.

Dans une communication aux journalistes, le Vatican a ensuite rectifié les faits en indiquant que le pape avait rencontré, lors de l’audience générale, “un groupe d’Irakiens, dont faisait partie M. Rayan al-Kildani, avec lequel quelques brèves paroles ont été échangées”.

En avril 2023, al-Kildani avait déjà tenté d’obtenir une audience privée, mais sa demande avait été rejetée. Il n’a pas non plus réussi à obtenir une rencontre personnelle avec le Pape lors de la visite de François en Irak en 2021.

Rayan al-Kildani est un homme politique irakien né le 3 septembre 1989 à Alqosh dans une famille chrétienne chaldéenne. Plus tard, il a déménagé à Bagdad. Il est le chef du Mouvement de Babylone, un parti politique qui s’identifie comme chrétien, et le commandant d’une milice armée chrétienne.

En 2014, après l’occupation par l’Etat Islamiste de certaines parties du Moyen-Orient, il a créé le Mouvement de Babylone, qui se dit proche de l’Église catholique chaldéenne, mais qui est rejeté par le cardinal Louis Raphael Sako, le chef (patriarche) de l’Église catholique chaldéenne. Son objectif déclaré était de résister au groupe État Islamiste dans le nord de l’Irak. Depuis, le Mouvement de Babylone est devenu une force économique et politique avec laquelle il faut compter.

À ce sujet, l’Église catholique chaldéenne, qui est en pleine communion avec le Saint-Siège, a publié une déclaration confirmant qu’elle n’a rien à voir avec Rayan al-Kaldani, qui prétend représenter la communauté catholique.

Cardinal Sako. Credit: Nail Beth Kinné, Human Rights Without Frontiers.

The relations between al-Kildani and Cardinal Sako have been very tense for years as the Catholic prelate is an obstacle to his political ambitions. The controversial political leader does not refrain from spreading disparaging rumors against the cardinal and accusing him of corruption. He also took sides with President Abdul Latif Rashid when on 3 July 2023 he revoked a special presidential decree issued in 2013 by former President Jalal Talabani that granted Cardinal Sako powers to administer Chaldean endowment affairs and officially recognized him as the head of the Chaldean Catholic Church.

According to Kurdish media outlet Rudaw, “the President’s decision came amid mounting pressure from Rayan al-Kildani, the leader of the Christian Babylon Movement, a party and militia affiliated with the pro-Iran Popular Mobilization Forces.” At a webinar for journalists organized by L’Oeuvre d’Orient on 19 September, Cardinal Sako declared that he had appealed the presidential decision and the case was to be examined by the Supreme Court.

Some current and former Christian members of the Iraqi Parliament, including Imad Youkhana and Yonadam Kanna, two Assyrian politicians, also stated that Rayan al-Kaldani, his political party and his armed militia cannot claim to represent Christians.

According to the commander of the Syriac Lions Battalions (SLB) and Syriac Hawks Forces (SHF), two other Christian militias, al-Kildani grew up in poverty and never finished primary school. He converted to Shia Islam when he got married, an obligation for a religiously mixed marriage, but he continued to present himself as a Chaldean Christian, because this made him a useful political asset to other political forces.

Even if he politically identifies himself as a Christian, there is no trace of his participation in church life and, as a politician, no record of any relations with his own community. He has however nurtured privileged relations with Shia actors.

Al-Kildani opposed the creation of a self-ruled political entity in the Nineveh Plain, one of the mainly and historically Christian populated regions of Iraq. He consistently expressed support for Iran-backed actors across the Middle East and Iranian policies while openly taking sides against the Kurdish Regional Government (KRG), the international coalition, and Saudi Arabia.

Les relations entre al-Kildani et le cardinal Sako sont très tendues depuis des années, le prélat catholique étant un obstacle à ses ambitions politiques. Le leader politique controversé ne se prive pas de répandre des rumeurs désobligeantes sur le cardinal et de l’accuser de corruption. Il a également pris parti pour le président Abdul Latif Rashid lorsque, le 3 juillet 2023, il a révoqué un décret présidentiel spécial émis en 2013 par l’ancien président Jalal Talabani, qui accordait au cardinal Sako le pouvoir d’administrer les affaires de la dotation chaldéenne et le reconnaissait officiellement comme le chef de l’Église catholique chaldéenne.

Selon le média kurde Rudaw, “la décision du président a été prise sous la pression croissante de Rayan al-Kildani, le chef du Mouvement chrétien de Babylone, un parti et une milice affiliés aux Forces de mobilisation populaire pro-iraniennes”. Lors d’un séminaire en ligne pour les journalistes organisé par L’Oeuvre d’Orient le 19 septembre, le cardinal Sako a déclaré qu’il avait fait appel de la décision présidentielle et que l’affaire allait être examinée par la Cour suprême.

Certains membres chrétiens actuels et anciens du Parlement irakien, dont Imad Youkhana et Yonadam Kanna, deux hommes politiques assyriens, ont également déclaré que Rayan al-Kaldani, son parti politique et sa milice armée ne peuvent prétendre représenter les chrétiens.

Selon le commandant des Bataillons des Lions syriaques (SLB) et des Forces des Faucons syriaques (SHF), deux autres milices chrétiennes, Rayan al-Kildani a grandi dans la pauvreté et n’a jamais terminé l’école primaire. Il s’est converti à l’islam chiite lorsqu’il s’est marié, une obligation pour un mariage religieusement mixte, mais il a continué à se présenter comme un chrétien chaldéen, car cela faisait de lui un atout politique utile pour d’autres forces politiques.

Même s’il s’identifie politiquement comme chrétien, il n’y a aucune trace de sa participation à la vie de l’Eglise et, en tant qu’homme politique, aucune relation avec sa propre communauté. Il a cependant entretenu des relations privilégiées avec des acteurs chiites.

Al-Kildani s’est opposé à la création d’une entité politique autonome dans la plaine de Ninive, l’une des régions d’Irak principalement et historiquement peuplée de chrétiens. Il a constamment exprimé son soutien aux acteurs soutenus par l’Iran au Moyen-Orient et aux politiques iraniennes, tout en prenant ouvertement parti contre le gouvernement régional kurde (GRK), la coalition internationale et l’Arabie saoudite.

Le cardinal Sako lors de sa visite à Bruxelles il y a plusieurs années. Crédit: Nail Beth Kinné, Human Rights Without Frontiers

En 2014, année de sa fondation, le Mouvement de Babylone a participé aux élections législatives mais n’a obtenu aucun siège. En 2018, il a obtenu deux sièges, contre un pour la Liste chaldéenne et un pour le Conseil populaire assyrien syriaque chaldéen.

Lors des élections législatives de 2021, quatre candidats du Mouvement de Babylone, deux hommes et deux femmes, ont remporté quatre des cinq sièges réservés aux partis chrétiens sur les 329 que compte le Parlement.

En Irak, huit sièges sont réservés aux groupes minoritaires : cinq pour les chrétiens, et chacun un pour les mandéens, les yézidis et les shabaks. La plupart des chrétiens d’Irak appartiennent traditionnellement à l’Église orthodoxe syriaque, à l’Église catholique chaldéenne et à l’Église assyrienne de l’Est. Ils sont concentrés dans les petites villes des plaines de Ninive, comme Alqosh, Tel Keppe, Ankawa et Bartella.

Avec l’exode massif des Irakiens chrétiens après la chute de Saddam Hussein et avec la guerre contre l’Etat Islamiste, la population chrétienne s’est passée de 800 000 à 200 000 personnes au cours des vingt dernières années. Dans les différentes régions du pays, le nombre d’électeurs chrétiens a dramatiquement diminué, et ils sont désormais de plus en plus dilués parmi les populations musulmanes croissantes dans leurs gouvernorats historiques, Bagdad, Duhok, Erbil, Kirkouk et Ninive.

En outre, la fragmentation du paysage politique chrétien a encore aggravé leur faiblesse politique. Enfin, la pratique consistant à “acheter des voix” à des Irakiens non chrétiens dans le cadre du système de quotas pour les minorités est de plus en plus répandue et sophistiquée.

En 2009, tout Irakien a été autorisé pour la première fois à voter pour les sièges réservés aux minorités, contrairement à ce qui s’était passé en 1992 (lorsque les Assyriens de la région du Kurdistan irakien avaient voté dans des urnes spéciales) ou en 2005 (lorsqu’il n’y avait pas de sièges réservés aux minorités). Étant donné qu’il fallait moins de voix pour obtenir un siège contingenté, les grands partis pouvaient demander à leurs partisans non assyriens de voter pour un allié assyrien, en échange d’un alignement politique de la part des représentants élus de ce dernier sur un certain nombre de sujets.

Le Parti démocratique du Kurdistan a ainsi mobilisé des voix pour le Conseil populaire assyrien chaldéen syriaque, l’Union patriotique du Kurdistan pour le Mouvement démocratique assyrien et les partis arabes chiites pour le Mouvement de Babylone. Des hommes politiques du Parti communiste irakien ont eux-mêmes admis avoir obtenu un siège pour une liste électorale assyrienne avec l’aide de communistes non assyriens.

Cette pratique a conduit à l’asservissement des partis chrétiens survivants mais squelettiques.

Derrière cette large peinture politique de la minorité chrétienne en Irak, il convient de noter que le 18 juillet 2019, le Bureau du contrôle des avoirs étrangers (OFAC) du Département du Trésor des États-Unis a désigné Rayan al-Kildani pour des sanctions fondées sur la Loi Globale de Magnitsky et ciblant les auteurs de graves violations des droits de l’homme et de corruption.

Rayan al-Kildani doit répondre de graves violations des droits de l’homme, notamment la persécution des minorités religieuses et la torture, la saisie illégale de terres dans le gouvernorat de Ninive, l’exploitation de sa position publique pour se remplir les poches et l’accaparement du pouvoir aux dépens des citoyens irakiens.