FRANCE: Raids spectaculaires de police dans des centres de yoga roumains en France : les faits (I)

Opération Villiers-sur-Marne : Témoignage

Par Willy Fautré, directeur de Human Rights Without Frontiers

HRWF(16.04.2024) – Le 28 novembre 2023, peu après 6 heures du matin, une équipe SWAT d’environ 175 policiers portant des masques noirs, des casques et des gilets pare-balles, ont simultanément fait des descentes dans les locaux de huit maisons et appartements situés à Paris et dans la région parisienne mais aussi à Nice, fusils semi-automatiques en mains. Ils ont défoncé les portes d’entrée et couru dans les escaliers tout en criant des ordres.

Les lieux perquisitionnés étaient utilisés pour des retraites spirituelles par des pratiquants de yoga liés à l’école de yoga MISA en Roumanie. En ce matin fatidique, la plupart d’entre eux étaient encore au lit. Quelques-uns étaient dans la cuisine en train de faire bouillir de l’eau pour une tisane. Les policiers masqués ont menotté un certain nombre d’entre eux, les ont obligés à rester dehors sans manteau ni chaussures dans le froid, puis les ont emmenés en bus au commissariat.

Bilan de cette vaste opération : quelques dizaines de personnes ont été arrêtées, dont 15 – 11 hommes et 4 femmes, tous de nationalité roumaine – ont été inculpées pour « traite d’êtres humains », « séquestration » et « abus de faiblesse » en bande organisée.

Gregorian Bivolaru (72 ans), l’un des fondateurs et chef spirituel de MISA, faisait partie des personnes arrêtées, mais dans son cas, il était recherché par la Finlande sous l’accusation d’abus sexuels commis sur des femmes finlandaises en France il y a plusieurs années.

Dans le cadre d’un travail de recherche intitulé “The Controversies Around Natha Yoga Center in Helsinki: Background, Causes, and Context”, le professeur Liselotte Frisk, décédée depuis lors, (Université de Dalécarlie, Falun, Suède) a mené une enquête approfondie sur les allégations retenues contre Bivolaru en Finlande (pp 20, 21, 27).

Tant qu’une décision de justice n’a pas confirmé la validité desdites accusations, Gregorian Bivolaru jouit de la présomption d’innocence, comme n’importe quel citoyen ordinaire ou célèbre personnalité publique.

Aucune femme interrogée dans le cadre de l’opération du 23 novembre 2023 n’a porté plainte contre lui.

Depuis cette perquisition, Bivolaru et cinq autres personnes sont toujours maintenues en détention provisoire en France.

Human Rights Without Frontiers a pris contact Me C. C. (*), qui pratique le yoga avec MISA depuis 20 ans. Elle était dans le centre de yoga de Villiers-sur-Marne au moment des faits. De 2002 à 2006, elle a étudié à la Faculté d’histoire et de philosophie de l’Université Babeș-Bolyai de Cluj-Napoca (Roumanie). En 2005-2006, elle était journaliste au quotidien national Roumanie Liberă. Voici son témoignage sur le raid :

Q. : Vous pratiquez le yoga dans le groupe MISA en Roumanie depuis 20 ans mais alors que vous étiez en retraite spirituelle à Villiers-sur-Marne, il y a eu une opération musclée contre le groupe. Pouvez-vous me dire ce qui s’est passé ?

Je suis allée plusieurs fois en France pour de telles retraites depuis 2010 et j’aime beaucoup ça. C’est pourquoi l’année dernière j’avais prévu de rester encore deux mois à Villiers-sur-Marne, de fin septembre à fin novembre. J’ai réservé un vol pour Paris et des amis sont venus me chercher à l’aéroport pour m’emmener au centre de yoga.

Tôt le matin, des forces de police ont fait une entrée spectaculaire dans notre centre où des dizaines de pratiquants de yoga étaient hébergés pour leur retraite. Les policiers ont tout mis sens dessus dessous, créant un désordre épouvantable et cassant même beaucoup de choses.

Dans mon cas, ils ont emporté mes sacs, mes papiers, mon téléphone, ma tablette, mon ordinateur, une enveloppe de 1000 EUR et mon portefeuille d’environ 200 EUR. Quatre mois plus tard, on ne m’a toujours pas restitué mon argent ni mon matériel. Il faisait froid dans ma chambre car la porte était ouverte et j’étais juste en pyjama. Les policiers m’ont emmenée, ainsi que beaucoup d’autres, au poste de police.

Q. : Que s’est-il passé au commissariat ?

Tout d’abord, je dois dire que je portais juste mon pyjama, un manteau et une paire de chaussures de ville. Lorsque nous sommes arrivés au poste de police, personne ne m’a donné d’explications sur la procédure, l’accès à la nourriture et à l’eau ou d’autres choses de base. J’avais souvent besoin de boire, mais je n’avais qu’un très petit verre d’eau en plastique. Il y a aussi eu un malentendu concernant la nourriture. Ils m’ont mis dans une cellule froide avec un sol en béton. Sur le lit, il y avait un fin matelas et je n’avais qu’un seul drap tout fin. Il n’y avait pas de toilettes dans la cellule, je ne pouvais pas me laver le matin ni me brosser les dents.

Chaque fois que je devais aller aux toilettes, je devais faire signe à la caméra de surveillance intérieure mais bien souvent je devais attendre une ou deux heures avant qu’on s’occupe de moi. Les toilettes ne fermaient pas correctement et un policier se tenait à l’extérieur.

On m’a dit que j’étais soupçonnée de complicité de viol et de trafic d’êtres humains. Je voulais être assistée par un avocat mais on m’a répondu que c’était impossible car trop de personnes avaient été arrêtées et on m’a dit qu’au bout de deux heures on pouvait commencer l’interrogatoire si aucun avocat n’était disponible.

Le deuxième jour de ma détention, ils ont pris mes empreintes digitales et ma photo. Lors de l’interrogatoire, il était clair qu’ils voulaient que je dise que je jouais un rôle important au sein du MISA, mais ce n’était pas le cas. Ils m’ont relâchée à 21h30 mais j’ai d’abord dû signer un formulaire de mise en liberté qui ne mentionnait aucune liste des objets saisis ni le montant de l’argent confisqué. Malheureusement, je n’en ai pas reçu de copie.

Sans argent ni téléphone, on m’a laissée devant le poste de police dans cette froide nuit de fin novembre pendant près de 9 heures, jusqu’à 6 heures du matin, lorsque j’ai finalement pu joindre quelqu’un qui pouvait m’aider.

Q: Franck Dannerolle, le chef de l’Office central pour la répression des violences contre les personnes (OCRVP) chargé de l’enquête, a été cité par certains journaux français affirmant que les pratiquants de yoga étaient « hébergés dans des conditions difficiles, avec une promiscuité importante, pas d’intimité. » (**) Pouvez-vous m’en dire un peu plus sur vos conditions de vie à Villiers-sur-Marne ?

Ce n’est pas vrai du tout. Dans mon cas, j’avais choisi de vivre dans un petit pavillon confortable (environ 7 mètres carrés) à l’extérieur du bâtiment principal car je souhaitais pratiquer ma retraite de yoga seule et méditer en silence, parfois sans dormir ni manger pendant 24 heures.

D’autres avaient choisi de partager une chambre dans le bâtiment principal : 2, 3 ou 4 ensemble, hommes et femmes séparément. Le bâtiment appartient à Sorin Turc, violoniste ayant joué avec l’orchestre de Monaco et soutenant MISA. Il est spacieux et confortable : il y a suffisamment de salles de bains et de douches pour les pratiquants de yoga. Il y a une grande salle pour la pratique collective du yoga. Il y a une grande cuisine avec des cuisinières, deux grands congélateurs, un distributeur de boissons, des presse-agrumes, des grille-pains et d’autres équipements tels que des machines à laver et des séchoirs

Pour nos repas, nous allions faire nos courses dans un supermarché local et nous préparions notre nourriture nous-mêmes.

Si les conditions de vie étaient aussi mauvaises que le disait Dannerolle, il n’y aurait pas autant de pratiquants et je ne serais jamais revenue autant de fois à Villiers-sur-Marne.

Au moment du raid, il y avait un air de fête de Noël et de nombreuses décorations avaient déjà été disposées un peu partout. Tout se passait bien et était en ordre, mais après l’opération de police, les locaux ont été laissés dans un état désastreux.

Q.:Comment se fait-il que vous ayez rejoint le groupe de yoga MISA ?

J’ai aujourd’hui 39 ans mais lorsque j’étais adolescente, j’étais et je suis toujours en quête de vérité sur le sens de la vie et sur l’existence de Dieu. A l’âge de 16 ans, j’ai même fait une retraite de deux mois dans un monastère orthodoxe et je voulais devenir religieuse. Ensuite, j’ai rencontré les baptistes. Par la suite, des hindous et des adeptes de Hare Krishna avant d’entrer en contact avec le groupe de yoga MISA. J’étais attiré par la méditation et la spiritualité. Je crois en Dieu, je suis orthodoxe et je me sens bien avec MISA.

 À propos de certaines médiatisations : la présomption de culpabilité 

Bon nombre de médias français se sont déchaînés dans la couverture de toute cette affaire et ont tenu leur propre tribunal, comme le montrent certains de leurs titres délirants, même si aucun tribunal français n’a, à ce stade, établi la vérité, ou non, sur les faits allégués:

L’homme qui a contribué à faire tomber la secte de yoga tantrique 

Viols, lavage de cerveau, yoga tantrique : l’effrayant parcours de Gregorian Bivolaru, le gourou roumain mis en examen et écroué en France 

Secte Misa : « Le gourou Bivolaru aurait pu faire de moi ce qu’il voulait » 

Viols, fuite et yoga ésotérique : qui est le gourou Gregorian Bivolaru arrêté ce mardi ? 

Agressions sexuelles sur fond de yoga tantrique : un gourou interpellé en France. « Il préférait les vierges »: des victimes du gourou Bivolaru témoignent

Deux points communs à tous ces articles. Primo, les auteurs n’ont pas rencontré et interrogé les pratiquants de yoga qui ont été arrêtés et détenus pour une garde à vue de 48 heures. Secundo, ils se sont fait l’écho de ragots et d’assertions non prouvées, ce qui n’est pas du journalisme et ce qui défigure la noble image du journalisme.

Il y a des normes éthiques dans le journalisme et il existe en France une autorité supérieure chargée de veiller à leur respect.

En 2016, la couverture médiatique des enjeux de MISA en Roumanie a fait l’objet d’un document de recherche intitulé «The Effect of the Persistent Media Campaign on the Public Perception – MISA & Gregorian Bivolaru Case Study» et publié par le World Journal of Social Sciences and Humanities. Les spécialistes français des sciences religieuses seraient bien inspirés de réaliser une étude comparative sur le même sujet dans leur pays.

Human Rights Without Frontiers défend la liberté de la presse et la liberté d’expression des journalistes mais lutte également contre les discours de haine, les fausses nouvelles et la stigmatisation. Human Rights Without Frontiers défend le respect du principe de présomption d’innocence et reconnaît les décisions de justice définitives comme la vérité judiciaire.

(*) Par respect de la vie privée de la personne interrogée, nous ne mettons que ses initiales mais nous avons son nom complet et ses coordonnées.(**) Le centre de retraite spirituelle de Villiers-sur-Marne n’a jamais été accusé ni même soupçonné d’insalubrité. Voir une série de photos ici.

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