Mariage interreligieux: un professeur français obligé de se convertir à l’Islam
HRWF (23.03.2020) – Human Rights Without Frontiers a reçu un témoignage très troublant d’un professeur d’université français obligé, en raison du mauvais traitement administratif de son dossier par les autorités françaises, d’aller épouser sa fiancée marocaine au Maroc, ce qui impliqua conversion à l’islam et adoption d’un prénom arabe – Ziad –. Mais la Justice administrative française finit par annuler – hélas un peu tard – la décision du Ministère de l’Intérieur (refus de visa pour la fiancée marocaine). (Ce message est la suite d’une information diffusée par HRWF le 11 septembre 2019.)
Lettre de M. Stéphane VALTER à Human Rights Without Frontiers le 15 mars 2020
Citoyen français et fonctionnaire d’État depuis de longues années, j’étais maître de conférences à l’Université du Havre au moment du début des faits, puis fus nommé professeur à l’Université de Lyon 2 Lumière le 1er septembre 2019.
Le Consulat français de Casablanca refusa le 6 mai 2019 un visa (de court séjour) à ma fiancée marocaine que je voulais voir venir en France pour y contracter mariage. Si elle avait pu venir, nous nous serions mariés le 8 juin, dans le petit village où habite ma mère, puis Amina serait retournée au Maroc avec le livret de famille, d’où elle aurait demandé un visa d’une année pour raison familiale. Nous aurions alors pu vivre ensemble en France peu de temps après. Et selon ce scénario, la question de ma conversion forcée à l’islam ne se serait jamais posée, étant donné que la cérémonie française est uniquement civile, contrairement au Maroc (où un chrétien ne peut juridiquement épouser une musulmane).
Mais il n’en fut rien. Devant le refus – discrétionnaire – du Consulat, je saisis la Commission des recours (sise à Nantes), qui confirma – tout aussi discrétionnairement – la décision. Je m’adressai alors au Tribunal administratif de Nantes pour demander la suspension et l’annulation de la décision contestée.
La suspension fut – étrangement – refusée, malgré l’urgence, le Tribunal suivant hélas assez servilement l’argumentation infantilisante du Ministère de l’Intérieur (selon laquelle, par exemple, nous étions « trop pressés de nous marier »). Et je n’étais pas présent pour défendre notre requête…
Afin de trouver une solution alternative à une situation bloquée (et qui risquait de perdurer) en raison du mépris des autorités françaises pour le droit fondamental d’un citoyen à fonder un foyer et à ne pas se convertir par obligation à une quelconque religion (selon la loi d’un pays étranger), je dus aller au Maroc (plusieurs fois) pour y préparer notre mariage. Je préférais ainsi accepter la conversion contrainte à l’islam et le changement subséquent de nom (Ziad pour Stéphane) plutôt que de rester éloigné (pour un temps indéterminé) de ma fiancée.
Nous nous mariâmes donc au Maroc, le 8 août 2019, et j’envoyai ensuite le dossier au service central de l’état civil de Nantes, pour transcription. Après un temps fort long, le mariage fut transcrit le 13 janvier 2020. Je reçus le livret de famille fin janvier, puis l’envoyai à Amina, qui demanda un visa familial et privé (une année) au Consulat de Casablanca, et arriva enfin en France le 25 février dernier.
Je peux dire que nous avons perdu à peu près six mois de vie commune, sans parler des frais induits par les nombreux voyages au Maroc pour régler les multiples problèmes administratifs liés aux mariages mixtes.
Et, last but not least, la question de la conversion forcée à l’islam restera un stigmate : c’est non seulement une violence à mes convictions, mais aussi une épée de Damoclès, car je risquerais d’être mis en danger si j’étais accusé d’apostasie. Comme je suis professeur de langue et de de civilisation arabes, j’aborde très fréquemment la question de l’islam en cours et dans mes écrits, et je pourrais ainsi croiser un jour un fanatique qui, me considérant comme traître et renégat, voudrait en découdre. Même faible, ce risque existe : les attentats terroristes islamistes montrent bien que la situation est tendue, et un musulman jugé apostat encourt in fine plus de risques qu’un chrétien.
Bien que le mal ait été fait, la bonne nouvelle reste que le Tribunal administratif de Nantes, dans un jugement du 16 janvier 2020, a annulé la décision de refus de visa de court séjour pour Amina, avec injonction de délivrer un visa dans un délai d’un mois. (Mais de manière très regrettable, le Ministère de l’Intérieur n’a à ce jour pas cherché à appliquer cette décision de Justice, montrant ainsi une violation manifeste de l’autorité de la chose jugée. Heureusement, entre temps, l’obtention du visa familial a en quelque sorte rendu caduque la question du visa refusé en mai 2019.)
Si on peut déplorer le mépris de l’administration (qui dépend du pouvoir politique) envers un citoyen et fonctionnaire, on doit par contre saluer la qualité de la Justice administrative française, qui redresse les torts, même avec retard, mais n’efface hélas pas les blessures.
Enfin, je n’exclus pas de demander au Ministère de l’Intérieur une indemnité pour préjudice matériel (remboursement des frais de voyage au Maroc pour toutes les formalités de mariage) et préjudice moral (longue séparation et conversion obligée à une religion). Il est peu probable que le Ministère réponde favorablement, s’il daigne répondre, et je m’adresserai alors à la Justice administrative.
Stéphane VALTER, Lyon, le 15 mars 2020
PS : Les personnes qui voudraient des précisions supplémentaires peuvent contacter M. VALTER à l’adresse suivante : s.valter@univ-lyon2.fr